"Voyage au cœur des rythmes, des sons et des couleurs"
Catherine Keller
1
Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque j'ouvris mes yeux. Cela faisait un certain temps que j'étais dans un demi-sommeil, je voulais me réveiller, mais une partie de moi-même désirais rester dans ce monde de sommeil, continuer ce rêve. D'ailleurs, quel était ce rêve, je ne pouvais le dire. Il ne me restait plus qu'une sensation de doute mêlée de peur. Mon cœur battait très vite et j’étais en sueur.
Quel était ce rêve ? Cela me revint, j'avais le vague souvenir d'un bruit régulier, un grincement. J'étais dans une grande pièce sombre, non, plutôt une grange, sale et haute. J'étais allongé par terre, à même le sol, dans un mélange de paille et de crottes dures de rats. Je venais de faire une chute. J'étais subjugué par ce que je venais d'apercevoir au-dessus de moi et je suis tombé, je ne pouvais alors plus me relever. Qu'avais-je bien pu apercevoir de tellement déconcertant ?
Quoi qu'il en soit, je suis bel et bien réveillé maintenant. J'ai quelques courbatures, mais tout va bien, je suis dans mon ... Oh, mon dieu ! La grange, ce grincement, cette saleté tout autour de moi. Et ce singe, qui s'approche. Il est accroché à une corde et il descend lentement vers moi. C'est un petit singe clair, avec d'énormes yeux noirs qui me fixent. Sur son visage se dessine un rictus, une grimace censée ressembler à un sourire, un sourire plein de haine. Il va m'attaquer, se jeter sur moi et me tuer, je peux le lire dans ses yeux.
Suis-je bête d'avoir peur ! Ce n'est que le rêve qui continue, alors pas de crainte, pas de panique. S'il m'attaque, je vais disparaître au dernier moment pour me retrouver dans le pays merveilleux d'Alice, ou un chasseur arrivera soudainement pour le tuer. Ce chasseur sera une femme, nous tomberons amoureux et nous aurons plein d'enfants. Tout finira bien.
Là, je crois que je panique ! Le singe est vraiment proche et je ne me réveille toujours pas. Il ne me reste plus qu'à fuir. Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à me lever, je ne suis pourtant pas attaché, mais mon corps est lourd, je peux à peine bouger la tête. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? Tout paraît tellement réel.
Un détail me choquait chez ce singe, je n’étais pas certain, mais il me semblait qu'il ne tenait pas la corde, comme s'il était allongé dessus, et qu'il se laissait glisser. En fait, en regardant mieux, je m'aperçus que la corde lui rentrait dans le corps, dans son ventre maigre, elle rentre par la gauche et ressort du côté droit. C'est répugnant, on devinait le sang séché tout le long de la corde, la rendant certainement plus glissante. Le pauvre devait souffrir.
Malgré tout, je ne pus m'empêcher de rire, un rire nerveux. La peur mais surtout l'absurdité de cette scène. Bien qu'étant persuadé d'être dans un rêve, tout ceci me sembla bien réel. Surtout que quelque chose au fond de moi m'avertit qu'un danger me menaçait, que cette histoire était loin d'être terminée.
2
Réfléchissons, ne paniquons pas. Je suis dans l'avion en direction de New York pour mon mariage. J'ai eu une rude journée, longue et fatigante. Mon seul désir, en pénétrant dans cet avion, était de pouvoir m'assoupir, de me détendre tout le long de ce voyage. Je me suis donc endormi. Cette sensation d'oppression provient du fait que je n'ai pas détaché ma ceinture, elle m'empêche donc de bouger à mon aise. Voilà, tout peut s'expliquer. Il suffit de rester calme et de réfléchir un peu. Quant au lieu où je me retrouve en ce moment, je laisse l'explication à la magie du rêve, qui peut nous emmener dans des lieux extraordinaires. Ce grincement et ce ricanement incessants ne sont que le fruit de mon imagination.
Malgré tout mon raisonnement rassurant, le singe était maintenant debout sur le sol, tout près de moi. Je remarquai alors la présence d'un grillage qui nous séparait, lui et moi. Il ricanait de plus belle, un rire grinçant, dans lequel on pouvait ressentir la haine, le désir de tuer. Puis, alors que son regard pénétrait le mien, pénétrait toute mon âme, aussi lentement qu'il était descendu, il remonta. Une force mystérieuse l'entraînait à nouveau vers le plafond de cette grange, où l'on ne pouvait rien distinguer.
Je compris que j'étais passé près de la mort, que ce n'était que partie remise. Ce n'était qu'un simple avertissement, ce singe n'était que le messager d'une force maléfique qui tôt ou tard finirait par se montrer et me détruire. Mon regard balayait toute l'étendue de la grange. Mes yeux s'étaient habitués à cette pénombre ambiante. Je pus alors remarquer, près de moi, une porte entrouverte, en bois pourri. Je décidai de quitter ce lieu, d'aller voir ce qui pouvait se trouver de l'autre côté de cette porte, peut-être la fin de ce rêve. Je l'espérais sincèrement, car il régnait ici une ambiance qui ne me disait rien qui vaille. Avec beaucoup d'efforts, je réussis à me lever. Mes cuisses, mes mollets, mes abdominaux me faisaient souffrir. J'avais du mal à garder l'équilibre. Mes jambes ne semblaient pas avoir la force de me porter. Très lentement, dans la mesure de mes possibilités, je me mis à avancer. Il m'était impossible de me tenir droit, mes muscles me tiraient de trop. J’étais obligé de me courber afin d'atténuer la douleur. Chaque pas nécessitait un effort important, m'épuisait littéralement. Je n'en pouvais plus. Je vis alors un bâton, je devais le prendre, sinon je n'y arriverais jamais. Tel un enfant, accroupi à genoux, j'avançais, ma concentration était portée sur la douleur au niveau de mes cuisses et sur ce bâton. Chaque pas faisait crier mes muscles de révolte. Je les entendais me maudire de les forcer à réaliser un tel travail alors qu'ils n'en avaient pas la possibilité. Je les priais de tenir bon encore quelque minutes, je m'approchais du but. Arrivé sur le bâton, je pleurais de douleur et de joie. Je m'allongeais à nouveau pour me reposer une seconde, pour calmer les muscles.
A quoi bon, autant ne pas perdre de temps.
Au moment où je mis la main sur le bâton, celui-ci me sembla mou et gluant. Il s'échappa. Ce n'était qu'un serpent, un maudit serpent. Je perdis alors connaissance.
3
J'étais dans un sommeil fragile, je sentais la sueur qui faisait coller mes vêtements sur ma peau. Je me sentais vraiment sale. Des images apparaissaient dans mon cerveau. Elles étaient floues, quelquefois nettes, mais ne restaient que la durée d'un flash, ne me permettant pas de les distinguer clairement. J'y voyais des enfants heureux qui couraient dans un pré, avec un chien blanc à leur côté. Puis l'image d'une femme, d'une beauté inouïe, un sourire radieux sur les lèvres.
Toute cette joie était quelquefois interrompue par des images dans lesquelles on apercevait des gens inquiets, seuls. Et à nouveau des images d'une montagne, d'un lac au moment d'un coucher de soleil. Deux êtres qui s'aimaient dans ce paysage fantastique.
Je ressentais la sensation étrange d'être un spectateur de moi-même. Je me rendais compte que j'étais en train de rêver.
Je distinguais nettement les différentes phases de mon sommeil. Je me voyais allongé sur une paillasse, dans une pièce éclairée seulement par la lumière du jour provenant d'une très petite fenêtre. Je voyais que j'essayais vainement de sortir de ce rêve. Un rêve qui m'enveloppait, comme si j'étais dans un drap, très serré autour de moi, qui me laissait à peine la place de faire de petits mouvements. Je voulais déchirer ce drap, mais il était bien trop résistant. Je pus alors remarquer un moment de trêve, mon âme s'agitait moins, elle s'était calmée, et je pus voir défiler les images d'un nouveau rêve, comme un film que l'on va voir au cinéma, la différence était qu'il n'y avait qu'un seul spectateur: moi. La séance était une projection spéciale qui retraçait la vie d'un jeune homme. Une vie qu'il ne connaissait pas encore.
Ce film commençait par le mariage de ce jeune homme. La cérémonie se déroulait à New York. Ce jeune homme, c'était moi. Je reconnaissais ma future femme, ou plutôt ma femme car la cérémonie venait de se terminer. Nous étions dehors main dans la main, nos amis et parents chantaient notre bonheur. Je pus vivre ainsi toute la soirée de nos noces. Je vécus également le voyage de noces qui était prévu en Inde. Je vis les enfants que nous aurions, mon ascension en tant que président dans l'entreprise où je n'étais que simple cadre. Puis plus rien, le vide. Le film s’arrêta là, sur une scène dans laquelle je rentrais chez moi. Je pus voir un spasme tout le long de mon corps, et je me réveillai complètement.
4
Combien de temps s’était écoulé depuis mon évanouissement ? Je ne le savais pas. Il me fallut un certain temps pour remettre les idées en place. Où étais-je ? Dans l'avion ? Non, dans cette pièce dépravée. Je me souvins alors de cette paillasse que j'avais pu voir lors de mon délire, de ce rêve étrange. Je reconnu cette fenêtre, un rayon de soleil pénétrait dans la pièce, éclairant un tapis sali par la boue. Une table en bois, deux chaises en mauvais état, un fourneau qui servait certainement à chauffer la pièce et à cuisiner, une armoire et ce lit constituaient le mobilier de cette pièce. Sur la table était posée une assiette, un verre et une cuillère. On voyait crépiter le feu dans le fourneau, sur lequel reposait une marmite. Malgré ma peur, je ne pus m'empêcher de ressentir un creux dans l'estomac, depuis combien de temps n'avais-je pas mangé? Pourquoi donc n'y avait-il personne dans cette pièce ? Peut-être vaudrait-il mieux ne pas la rencontrer.
Quelle sensation étrange je ressentais. Lorsque je voulais bouger mon bras, j'avais l'impression qu'entre le moment où je décidais de le bouger et le moment où l'action se déroulait, un certain temps, assez long, se passait. Et mon bras se levait effectivement, mais avec une lenteur, comme si tout était ralenti. J'avais l'impression de ne plus être réellement maître de mon corps. Dans cette pièce régnait un certain silence, je ne percevais aucun bruit, même pas celui du feu.
Ce n'est pas normal. De toute façon, rien n'est normal, je ne devrais même pas être ici, dans ce lieu étrange. Je devrais être dans cet avion, en train de boire un café, en train de penser à ma future épouse, ou de regarder un film sur le mini écran. Je devrais voir cet enfant aveugle qui est à mes côtés, et son chien dormir à ses pieds. Voilà où je devrais être, nulle part ailleurs. Est-ce qu'il y a quelqu'un, laissez-moi sortir, laissez-moi bouger. Je ne peux même plus crier, j'ai beau ouvrir la bouche, rien ne sort, aucun son. Je ne peux que penser, me plaindre, et encore, il n'y a que moi pour m'entendre. Je n'en peux plus. Que vais-je devenir ? La seule alternative qu'il me reste pour l'instant est d'attendre que quelqu'un, qui que ce soit, veuille bien venir. Il doit y avoir une personne qui m'a porté de cette grange jusqu'ici, une personne qui ait allumé ce feu et qui ait préparé cette table. Je me fais vraiment peur, je raisonne comme si j'étais dans la réalité, or il ne faut pas oublier que ce n'est qu'un REVE, un simple cauchemar je dirais même. Ce qui veux dire que je peux m'envoler, les bûches peuvent marcher et aller droit dans le fourneau. De même, la marmite a cuisiné elle même le bouillon. Ensuite, une chaise viendra me chercher pour m'installer à table, et la cuillère me servira la soupe. N'est-il pas beau ce petit monde bien à moi, je devrais en jouir pleinement. Et non, je suis là à me lamenter, à délirer, à me poser toutes sortes de questions qui n'ont ni queue ni tête. Ah Ah Ah ! C'est vraiment trop drôle toute cette histoire. Bon, assez rigolé, je dois réagir, je ne dois pas rester comme un légume, rêve ou pas rêve, j'ai faim. Je vais donc me lever et reprendre des forces.
J’essayais alors de me lever, mes membres étaient engourdis, cela devait vraiment faire un certain temps que j’étais allongé. Je pus néanmoins bouger. Je réussis à me redresser dans le lit. Mes bras tremblant me maintenaient assis. Je sentais toujours une très légère douleur, mais rien de comparable à celle subie dans la grange. Puis, je pus mettre mes jambes hors du lit. C’est alors que je remarquai quelque chose. Je ne pus pas dire quoi. Etait-ce sur le mur ? Non, on ne dirait pas. Ca semblait immobile, petit et noir. Je fixais cette chose. Peut-être était-ce une tache. Je réussi à me mettre debout lentement, très lentement. En fait, je ne ressentais plus tellement la douleur. C’était une autre sensation. J’étais lourd, comme si l’espace lui-même était lourd, dense, ralentissant ainsi les mouvements. Un peu la même impression que lorsque l’on est dans l’eau, sauf que dans mon cas, il n’y avait pas la moindre goutte d’eau, et que c’était plus dense encore. Je pu m’approcher de cette tache. Je me rendis compte qu’elle n’était pas sur le mur. C’était une tache dans la pièce, près de la fenêtre. Je tournais autour d’elle. Il s’agissait d’un trait, d’un point dessiné dans l’espace. Un trait incliné, un point juste à côté.
Ma curiosité était à son comble. Bien entendu, je voulus la toucher, mais mes doigts rencontrèrent uniquement du vide. Il n’y avait physiquement rien du tout. En m’approchant de plus près, je pus constater une très légère vibration, à peine perceptible. C’était vraiment incroyable, jamais de ma vie je n’avais vu une telle chose. J’étais attiré par cette tache, par le doute qu’elle laissait en moi. J’en avais oublié ma faim. Tout à coup, elle se mit à se gonfler et à se dégonfler régulièrement. Je pensai à un cœur qui bat, tel qu’on peut le voir dans certains reportages de médecine. Puis la tâche disparut. Je regardai autour de moi, mais ne l’aperçus nul part. Elle s’était volatilisée. Je restais sceptique, et déçu. Je ne comprenais pas pourquoi cette déception.
Ce n’était qu’une illusion, un tour de mon cerveau très fatigué. Une extravagance typique des rêves. Je vais manger un peu. Ca ira mieux ensuite.
Je m’en allai vers la marmite, la pris, étrangement, elle n’était ni lourde ni légère. Elle n’avait aucun poids. Je soulevai le couvercle afin de vérifier qu’elle n’était pas vide. Elle était remplie de soupe. Une soupe sans couleur particulière. Malgré mes craintes, je décidai de la manger. Si je devais mourir empoisonné, je mourrais, après tout ce n’était qu’un rêve. Tout le temps, je ne cessais de me remettre en tête que ce que je vivais à ce moment n’était qu’un rêve. L’idée que tout ceci put être la réalité me faisait trop peur, c’est pourquoi, je me persuadais et me réconfortais comme je le pouvais. Je m’installai alors à table, remplis l’assiette de soupe. Et me mis à la manger. Après deux cuillerées, je constatai qu’elle n’avait aucun goût. C’était une soupe sans couleur, sans goût. Quelle tristesse ! Cette réflexion me permit de prendre conscience d’un autre fait. Depuis que je m’étais réveillé, j’avais remarqué cette lourdeur de l’espace, mais un autre détail n’allait pas. Une sensation de vide, de mort, un manque. Quelque chose sonnait faux dans cette pièce. Je sus quel était ce point: il n’y avait aucun bruit. Lorsque je remis le couvercle sur la marmite, je n’entendis pas un son. De même, quand je m’étais levé du lit, je n’avais pas entendu le froissement des draps sur mon passage. Je ne percevais pas non plus le bruit de la cuillère dans l’assiette. Rien. Je n’entendais rien, aucun son.
Non, j’ai tord. J’ai entendu une chose depuis mon réveil dans cette maison: la tache. Lorsqu’elle s’est mise à gonfler, on entendait un battement, assez faible, mais il était là, je m’en souviens très bien maintenant. Une illusion visuelle et sonore peut-être ?
5
Ma curiosité me poussa alors à regarder ce qu’il pouvait bien avoir de l’autre côté de cette fenêtre. Je m’avançais jusqu’à celle-ci, m’appuyai sur le rebord, et observai.
Il me fallu un certain temps pour réagir. Je reconnus la grange. Son aspect avait néanmoins changé. Elle était éclairée. Des spots très lumineux éclairaient la maison, dans laquelle je me trouvais. C’est pourquoi, je ne pus rien voir tout d’abord. Je pus remarquer la présence d’autres maisons, assez éloignées de la mienne. Cette grange était décidément très grande. Puis, mon coeur se mit à battre très rapidement, devant moi, derrière la grille, se promenaient des ombres, des êtres vivants, ils me semblaient assez petits, mais qu’importe, ce sont des êtres qui vont pouvoir m’éclairer, m’expliquer.
Dans l’énervement, en voulant sortir de cette pièce, je me cognai à la table, et renversai l’assiette de soupe que je n’avais pas fini. Tout fut par terre, mais ça m’était égal. Je ne remarquai même plus ce silence, ni la présence de plusieurs taches dans la pièce. Tout ce que je voyais, c’était ces personnes, la liberté. Tout ce que je désirais était que ce rêve cesse une fois pour toutes. Je pensais sincèrement au fond de moi-même que ces personnes seraient la solution à ce cauchemar.
La porte s’ouvrit sans aucune difficulté. Lorsque je fus dehors, je fus surpris par le changement d’air, par ces grincements, ces cris hystériques. Et mes courbatures revinrent. Mes muscles recommençaient à me faire mal. Je regardais autour de moi, et je vis que l’on pouvait observer l’intérieur de la maison dans laquelle j’étais. De nombreux petits écrans le long du mur extérieur montraient des images de la pièce. Je compris que la tache dans la pièce était en fait une caméra chargée de me surveiller. En effet, il y en avait tout autour de moi, et sur ces écrans je pouvais me voir. J’eus très peur, je me mis à trembler de tout mon corps. Le spectacle dont je fus alors le témoin, me donna des nausées, je ne pus me retenir.
Devant moi, à côté de la maison, il y avait un autre écran, beaucoup plus grand que les précédents, sur lequel passait un film. Je reconnus immédiatement ce film. Il s’agissait de moi en tant qu’adolescent. Je venais de recevoir mon diplôme, mes parents et ma petite amie étaient présents et m’applaudissaient. Sur cet écran, repassait ma vie, ma vie entière dans ses moindres détails.
Je m’avançais malgré les douleurs jusqu’au grillage, je voulais voir une pancarte qui était accrochée dessus, je voulais m’assurer qu'elle porterait un message du genre : Quelle bonne blague, vous avez été filmé par toute l’équipe de Channel 6.
Je pleurais de rire. Quelle bonne blague quand même ! Jamais je n’avais autant rigolé. Je réussis à prendre la pancarte. Je la lus, et je crus que c’était la fin. A travers mes larmes, je pus lire:
« Venez tous, venez tous voir la vie passée de Mr X. Séance spéciale à 88 décades : son avenir. Venez voir en exclusivité ce que lui n’a encore jamais vu. Venez voir ce bonheur qu’il ne connaîtra jamais. Vous pourrez observer Mr X de vos propres yeux, il sera présent, dans cette cage, devant vous. »
Je n’en revenais pas. Ces êtres m’avaient volé ma vie, mon passé, mon avenir.
Des singes ressemblants à celui que j’avais pu voir lors de mon premier réveil s’approchaient en criant. Ils entrèrent dans ma cage. Ils étaient accrochés entre eux par des cordes qui leur rentraient dans leur ventre. Ils me prirent, me frappèrent, et me remirent dans la maison. Ils semblaient très énervés. Ils nettoyèrent le sol, remplirent la marmite de ce qu’il avaient pu nettoyer, et me firent comprendre qu’il ne fallait pas que cela se reproduise, je devais rester calme, très calme.
6
Cela fait très longtemps que je suis là, enfermé, observé de ces singes, de ces monstres. Tous les jours je revois mon passé et mon avenir. Au début, je m'intéressais plus particulièrement à une scène, la scène de l’avion dans lequel je rentrais après une rude journée de travail pour rejoindre ma future épouse, que je ne revis jamais, à part dans ce film maudit de ma vie. Je disparus tout simplement, personne ne m’avait vu monter, ni descendre. Je n’avais jamais existé pour personne, et pourtant j’avais un passé, un avenir. Je n’étais qu’un acteur pour ces singes, ma vie n’était qu’un film. Et je restais là, éternellement, à me rassurer en me disant que tout ceci n’était qu’un rêve.
Cet écrit est en Copyleft, vous pouvez réutiliser son contenu sans le modifier et en citant la source
Source : Catherine Keller - Quant'Harmonia - https://quantharmonia.wixsite.com/catherine-keller